Jardins publics / jardins privés


 
Fraîchement installées à Castries depuis notre éviction de Baillargues (où Aldebaran venait de vivre une décennie lumineuse) nous nous retrouvions dans un nouvel espace d'exposition exigu, dont la seule ouverture donnait sur la passante nationale nous rejetant les gaz d'échappement d'un trafic intense. Dans notre bureau "caravane" nous manquions d'air... de subventions..... et de perspectives.

Que nous restait-il ? matériellement pas grand-chose mais intérieurement l'énergie complémentaire de nos deux personnalités et la volonté de redonner à Aldebaran un nouveau départ.

"Allons prendre l'air et fumer une clope au soleil"

Nous traversons quelques ruelles à la recherche de l'endroit parfait et nous arrêtons devant une allée donnant sur un jardin sans portail. La maison est fermée, le jardin est somptueux, la curiosité nous pousse à enfreindre le seuil de la propriété...

Et tout a commencé.....

Quelques semaines plus tard.....

L'idée est bonne mais audacieuse: créer un événement culturel estival rassemblant plusieurs domaines de créations dans des villages du canton de Castries.

Arts plastiques, musique, danse et poésie contemporaine seront à l'honneur de ce futur projet.

Après un rendez-vous en mairie nous avons en main la liste des villages, le nom des maires et adjoints à la culture. Très vite les rencontres et les visites s'enchaînent. Le projet séduit nous trouvons rapidement des communes intéressées et des maires ravis de nous faire découvrir des espaces propices à nos idées d'intervention artistiques: des carrières abandonnées, des chapelles sous les pins, des parcs ou squares municipaux...... Nous décidons que bien évidemment Castries accueillerait la partie "Arts Plastiques".

Mais tout aussi rapidement nous prenons conscience de l'ambition colossale de ce projet, nous n'avons ni les infrastructures, ni le personnel ni les moyens financiers de le mener à bien .

" Pour la première édition nous n'avons qu'à tout regrouper sur Castries, ce sera plus simple!"

Fin juin 2003 nous proposions la première édition de "Jardins Publics/Jardins privés" une balade artistique en exterieur au sein du village où le public déambulait entre espaces publics et jardins privés à la rencontre de différents domaines artistiques

La" première" qui aurait aussi pu etre la dernière édition"

Nous sommes en février, les bases de la manifestation sont posées mais la prise de risque est importante. Pour que ce projet soit à la hauteur de notre ambition nous devons lui octroyer un maximum de nos bien maigres moyens financiers. De plus à ce moment de l'année nous ne connaissons pas l'enveloppe budgetaire dont nous disposerons mais elle sera de toute façon insuffisante pour couvrir l'ensemble des postes. Il nous faut malgre tout pour avancer contacter de nombreux artistes, les convaincre de l'intêret de ce projet en pleine construction pour lequel ils ne pourront beneficier que d'une aide financière symbolique et d'un confort tres spartiate.

Mais le projet interpelle et intrigue.... au fil des semaines la programmation se profile: 4 compagnies de danse, un duo de musicien, 3 figures de la poésie sonore contemporaine et une dizaine d'artistes plasticiens sont prêts à tenter l'aventure avec nous sachant que pour la plupart l investissement personnel sera important (mais aussi motivant), les interventions devront être pensées" in situ" adaptées aux lieux qui les accueilleront.

Une fois la partie artistique bouclée il ne restait plus qu'à trouver un "bouquet de jardins". Nous arpentons le village munies d'enveloppes à destination des propriétaires expliquant notre projet. Nous inspections la moindre impasse à la recherche d'espaces extérieurs de caractère et distribuons des dizaines de courriers en demandant aux personnes de nous contacter.


Après quelques semaines, il faut se rendre à l'évidence: pas la moindre réponse à nos nombreux appels à participer. Peu d'éléments jouaient en notre faveur: personne ne nous connaissait dans le village, la démarche d'ouvrir au public l'espace intime de son jardin effraie, l'art contemporain n'est pas des plus abordable. Autant de raisons qui expliquaient ce silence.

Le défi était là, il fallait convaincre Monsieur et Madame X d'^être l'un des maillons de cette aventure artistique et humaine.

Nous programmons alors une mission "porte-à-porte" afin de rencontrer directement les habitants. Choisissant nos jardins préférés nous faisons une première tentative . En semaine et aux heures de bureaux, nos coups de sonnettes restent souvent sans réponses ; une vieille dame risque un regard derrière les voilages de sa fenêtre et disparaît aussitôt face à la présence de deux inconnues. Enfin derrière un grand portail une voix répond à l'interphone et nous ouvre.....

La propriétaire d'une maison bourgeoise toute de blanc vêtue et chapeautée est en plein jardinage, elle nous accueille, nous écoute, nous félicite pour notre initiative avant de nous détailler les nombreuses variétés de plantes qui ornent ses massifs, ses soucis avec les artisans du sud sur lesquels on ne peut jamais compter. De notre côté, nous observons: le jardin, la terrasse, le passage, le personnage. À notre tour, nous la complimentons sur la réussite de ces plantations, les choix judicieux des assemblages végétaux en espérant tenir notre premier propriétaire "préteur".

Finalement après en avoir parlé à son époux, elle nous rappela nous expliquant que ce dernier craignait que l'ouverture de son jardin ne mette en péril la sécurité de leur logis craignant un cambriolage.....

À trois mois de la manifestation, nous n'avions pas un seul jardin, le projet et son titre devenait ridicule.

Nous retournons à nos activités de démarchage avec en ligne de mire des jardins plus humbles, moins entretenus, on nous rétorque alors que le jardin n'est pas assez beau pour accueillir un artiste et du public.

Et puis animées par l'envie de réussir notre challenge nous sommes arrivées à convaincre sur la base de rien que tout se passerait bien, sans dommage pour le jardin et ses habitants. Une dizaine de Castriotes se sont laissés tenter par l'aventure, plus curieux qu'inquiets, impatients autant que nous de découvrir les artistes, leurs travaux et les réactions du public....

La fin du mois de juin approche, la manifestation est annoncée pour le samedi 26 de 15h à 24h.

Nous nous lançons dans l'organisation proprement dite de cette journée, du matériel à trouver, des espaces à investir, des artistes à héberger, l'accueil du public à gérer, une signalétique à trouver pour guider la promenade..... la liste est longue; le mois de juin va être chaud et sportif......

Notre seul luxe :embaucher un régisseur qui gérera lors de la journée les différentes installations techniques servant pour le concert, la danse, la poésie qui devront être montées et démontées en un temps record pour coller au timing des différentes interventions.

À la veille du jour j quelques artistes commencent le montage dans les jardins, la plupart préférant monter le jour même soucieux de la météo. Ce fut un réel bonheur de voir poindre au-dessus d'une haie l'arbre en pots et canne à pêche de François Dezeuze première installation aboutie après de long mois de travail.

Une fois rassurée quant à la météo du lendemain et une fois l'organisation de chaque intervention réglée la fin de journée se consacre à l'installation d'un groupe électrogène dans un parc municipal où interviendront les compagnies de danse. Les répétitions se terminent tard dans la nuit, mais les propositions sont superbes et correspondent réellement à ce que nous souhaitions, nous espérons accueillir un public nombreux malgré le peu de budget alloué à la communication et face aux différents festivals d'envergure qui se déroulent au même moment. Nous partons prendre quelques heures de repos où nous pourrons rêver soit à une première édition idyllique sans le moindre accro soit à une journée de cauchemar où rien ne se déroule comme prévus....

Une fois la partie artistique bouclée il ne restait plus qu'à trouver un "bouquet de jardins". Nous arpentons le village munies d'enveloppes à destination des propriétaires expliquant notre projet. Nous inspections la moindre impasse à la recherche d'espaces extérieurs de caractère et distribuons des dizaines de courriers en demandant aux personnes de nous contacter.

 
 

De bon matin le téléphone sonne" Bonjour O, sais-tu ce qu'il se passe à Montpellier Danse? Et bien il semblerait qu'il y ait un grand mouvement de grève des intermittents du spectacle, l'ensemble des représentations est annulé."

La nouvelle est inquiétante, mais à Castries jusqu'à 3h du matin personne n'a fait allusion à une grève potentielle......

" Et bien tu me surprends, mais je ne pense pas que nous soyons touchées, nous ne sommes qu'un tout jeune festival à peine naissant les intermittents vont frapper là où il y a de gros enjeux médiatiques3, Pour nous personnellement l'enjeu est énorme: annuler et rater la première édition serait une réelle cata, .....

Sitôt raccrochée Valérie et moi nous mettons en route pour Castries soucieuses de savoir si notre répondeur téléphonique nous donnerait de mauvaises nouvelles. A notre arrivée, il ne clignote pas cela nous réconforte un peu nous n'avons plus qu'à attendre l'heure du rendez-vous d'arrivée des artistes.

Mais ladite heure passe et personne n'arrive ou presque, notre régisseur est là il est au courant de la situation à Montpellier et Avignon et nous explique les revendications des intermittents et l'ampleur qu'ils veulent donner à ce mouvement. Nous le supplions de ne commencer sa grève que le lendemain à condition que les artistes soient présents...... Les deux musiciens arrivent, ouf ! et ils ne sont au courant de rien re ouf ! Ils décident de ne pas annuler leur concert tout en faisant à un moment une annonce sur cette grève. Il manque encore les danseurs et les poètes.

Les poètes sont dans le train qui a du retard..... ils nous rassurent quant au maintien de leurs performances du soir.

Quant aux danseurs, nous appelons et tombons sur des répondeurs, la panique nous gagne... car l'heure tourne la manifestation débute dans quelques heures.... nous ne sommes plus du tout sure du bon déroulement de la soirée.

Que dire aux premiers visiteurs qui ne vont pas tarder à arriver et que nous accueillerons avec une mine déconfite?

Pas le temps d'y réfléchir car les téléphones sonnent dans tous les sens: il manque un marteau à l'un, du fil à l'autre, le troisième ne se rappelle plus où se trouve le jardin qu'il occupe, les musiciens ont besoin de bâches et de boissons sous peine d'insolation grave, il manque une clef pour ouvrir un jardin bref la version cauchemar se précise.

Chacune de nous s'approprie un thème de galère l'une se chargera des chorégraphes et des danseurs qu'il faut persuader de venir mais aussi de jouer en trouvant un compromis pour faire entendre leur cause sans annuler les spectacles quant à l'autre, elle assurera la partie arts plastiques, l'accueil du public, la distribution des plans, les explications aux personnes un peu perdues et toutes les inattendus du jour qui pourrait encore arriver....

Autrement dit nous n'avons pas du tout toutes les deux les mêmes souvenirs de cette même journée où nous ne sommes pratiquement pas croisés à part par téléphone pour se tenir au courant des avancées ou des nouveaux problèmes à régler.

Rien ne nous aura été épargné mais au final cette première édition a été fortement appréciée par le public et les artistes participants.

Vers minuit après avoir évité un dernier accrochage entre un voisin couche tôt qui n'appréciait pas la lecture de Christophe Fiat et s'être brûlé les doigts en démontant les ampoules des guirlandes lumineuses nous en arrivions à la même conclusion "On ne refait plus jamais ça !"

Chaque année, à la même époque revient une phrase récurrente: "Cette fois ci c'est la dernière fois".

Toutes les oeuvres réalisées depuis dix ans que vous retrouverez dans ces pages n'auraient pu ne jamais exister...